Exercices d'écoute

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Vous trouverez ici une sélection d’exercices d’écoute généralement proposés lors de workshops, ateliers,  balades sonores et cours centrés sur l’écoute. Les exercices sont bien sûr différents à chaque fois, selon le lieu et les participant-e-s. Aucun de ces exercices n’a été explicitement créé, ils sont plutôt un mélange d’expériences de terrain et de propositions de différentes personnes à l’écoute. À la fin du document, vous trouverez des liens et références, n’hésitez pas à nous contacter si vous voulez partager avec nous vos expériences d’écoute, en envoyant un lien ou autre.

Les exercices sont regroupés en cinq catégories. La perception sonore est un phénomène complexe et les concepts ci-dessous n’ont pas été pensés d’un point de vue théorique, mais d’un point de vue pratique, visant à stimuler une écoute active de notre environnement.

Il faut environ 1h30 pour réaliser les cinq exercices, mais vous pouvez bien sûr n’en sélectionner que quelques-uns. N’hésitez pas à adapter les exercices à votre rythme et à votre ressenti. Bonne écoute !

Mexico City, 2015 (Balade sonore avec LLEOM)

Exercice d’écoute nº 1 : Balade sonore

Écoutez en vous déplaçant d’un endroit à un autre (5 min.)
Marchez lentement et en silence, sans parler, en partant de l’intérieur (ou de l’endroit où vous êtes au moment de commencer cet exercice) vers l’espace public, en extérieur, en suivant une route prédéfinie ou pas (selon votre souhait). Durant la marche, prenez conscience des sons qui vous entourent et retenez les sons entendus, sans prendre de notes. 

Une fois à l’arrêt, après les 5 minutes : 

  • Faites une liste des sons entendus, la plus longue possible. Si vous faites l’exercice en groupe, chaque participant-e nommera un son, l’un-e après l’autre, jusqu’à ce que vous ayez énuméré tous les sons écoutés. Si vous êtes seul-e, vous pouvez écrire la liste des sons écoutés sur une feuille ou votre carnet.

-> Il est intéressant de noter à quel point on peut entendre une multitude de sons différents en quelques minutes. Il peut nous arriver de percevoir ces sons comme des bruits, mais on peut ici les écouter comme des sons, révélant la grande richesse sonore de notre environnement.

  • Dans votre liste, définissez les sons les plus proches du point d’écoute et ceux qui en sont le plus éloignés. Essayez de grouper les sons sur différents plans sonores (près, plan moyen, loin).
  • Définissez les sons les plus bruyants et les plus silencieux dans la liste (en termes de niveau sonore de la source, sans prendre en compte la distance entre l’auditeur et le son). Classez les sons par leur niveaux sonores.
  • Définissez les sons les plus graves et les plus aigus, regroupez-les sons selon leur hauteur.

    Fribourg, Switzerland, 2018 (Festival Belluard)

Exercice d’écoute nº 2 : Effacer la frontière entre musique et son

Écoute immobile dans une position confortable, debout ou assis-e (5 min)

Fermez les yeux pendant 5 minutes, un minuteur sur votre téléphone peut vous aider à savoir quand le temps est écoulé. Vous pouvez utiliser un masque pour les yeux ou un morceau de tissu pour vous bander les yeux si vous le préférez (faites attention à ne pas couvrir vos oreilles). En silence, essayez d’écouter les sons qui vous entourent en les considérant comme un matériel sonore, sans les relier à leur source.

Une analogie visuelle serait la description d’une pomme comme ceci : un objet rond qui peut se manger, naturel, de couleur verte, avec une surface extérieure lisse… En termes sonores, un exemple serait de décrire un grincement de porte comme un son relativement aigu, dont le volume augmente progressivement pour finir avec un impact (de la fermeture). Un son divisé en deux temps, l’un plus mélodique et l’autre plus percussif, une sonorité de bois amplifiée par une caisse de résonance (le plancher en bois du lieu).

Dans ces descriptions sonores, on fera l’analogie avec un orchestre. Pensez que vous assistez à un concert, avec un orchestre symphonique (chœur, cordes, instruments à vent, percussions, etc.) qui accompagne un ou plusieurs solistes (des sons ponctuels qui se détachent du reste).

Après les 5 minutes, essayez de :

  • Décrire chaque matière sonore, l’une après l’autre (si vous êtes dans un groupe, chaque participant-e peut décrire un son) sans mentionner les objets qui produisent les sons, mais uniquement “le son en soi”, avec vos propre mots et références (mélodique ou percussif, fréquences graves ou aiguës, son faible ou fort, en mouvement ou immobile, sa place  dans l’espace, répétitif ou constant, qui n’apparaît qu’une seule fois ou se répète… etc.).
  • Vous pouvez commencer avec les sons qui composent l’orchestre (ceux qui sont présents du début à la fin, d’une manière constante ou répétée) et décrire ensuite les sons solistes.
  • Vous pouvez écrire votre expérience d’écoute sur une feuille et l’accompagner d’une esquisse de cet orchestre imaginaire ou d’un dessin qui serait le résultat de votre écoute et des sons dispersés dans l’espace qui vous entoure (sans mentionner leur sources).
  • Cet exercice peut vous aider à questionner la frontière entre musique et son et leurs possibles différences. Est-ce que ce n’est pas l’écoute qui définit si un son est musique, bruit ou d’un autre type de sonorité ?

Dinard, France, 2020 (Phonurgia)

Exercice d’écoute nº 3  : Les sons porteurs d’informations

Écoute immobile dans une position confortable, debout ou assis-e dans un autre lieu (5 min)
Marchez un peu et trouvez un nouvel endroit où faire une pause, dans une position confortable. Fermez vos yeux pendant 5 minutes et écoutez les sons qui vous entourent.

  • Portez votre attention sur les informations que les sons peuvent vous fournir. Est-ce que les sons peuvent définir l’endroit où vous vous trouvez maintenant ? Est-ce que les lieux ont chacun leur propre identité sonore? Y a-t-il des marqueurs sonores de cet espace, selon les mots de Murray Schafer ? (voir lien à la fin du document).
  • Quel type d’information géographique peut nous fournir l’écoute d’un lieu ? Quelles informations sur l’endroit où vous êtes transparaissent par le son ? (continent, pays, ville, village, parc/rue/place précise). Est-ce que le son fournit également des informations sur les habitants du lieu (humains et non-humains), sur leur culture ou leurs relations sociales ?
  • Quel type d’information temporelle peut nous fournir le son ? Est-il possible de définir l’heure ou le moment de la journée, le jour, la saison, l’année ou la décennie dans laquelle on se trouve au moment de l’écoute ?
  • Pensez aux propriétés acoustiques du paysage. Quels sont les éléments qui favorisent la propagation du son ?  Votre écoute change-t-elle si vous tournez la tête ou si vous faites quelques pas ? Nous pouvons évoquer le concept d’écholocalisation, utilisé par certains animaux (comme les dauphins et les chauve-souris) et que les personnes aveugles utilisent aussi.
  • En pensant la prise de son comme une pratique documentaire, est-ce que les enregistrements peuvent constituer une mémoire sonore ou une archive sonore d’un lieu ? Est-ce que certains sons ont disparu de l’endroit où vous vous trouvez ? Certains sons, en péril,  pourraient-ils disparaître prochainement ?  Pouvez-vous imaginer les sons du futur et l’évolution du paysage sonore du lieu dans lequel vous vous trouvez ?

Colle de Finestra, Italy, 2016 (Festival Corners)

Exercice d’écoute nº 4 : Objectivité et subjectivité de l’écoute 

Écoute immobile dans une position confortable, debout ou assis-e dans un autre lieu (5 min)

Marchez un peu et trouvez un nouvel endroit où faire une pause pour réaliser ce nouvel exercice. Fermez vos yeux pendant 5 minutes et écoutez les sons qui vous entourent.

  • Choisissez le son que vous considérez le plus représentatif de votre expérience d’écoute et laissez-vous emporter par ce son, dans l’espace ou dans le temps. À la manière de la madeleine de Proust, le son peut raviver des souvenirs personnels. En guise d’exemple, le son d’une route au loin pourrait vous rappeler des vagues sur la plage et réveiller vos souvenirs d’enfance, de vos vacances en bord de mer.
  • Comment pourriez-vous traduire votre expérience sonore de ce moment d’écoute ? On évoque généralement une certaine recherche de réalisme quand on parle de paysage sonore, mais on peut ici penser à différentes manières d’écouter un même endroit, qui peuvent coexister.

Lorsque vous écoutez, votre cerveau élimine continuellement les sons qu’il considère comme des bruits. C’est ce qui se passe par exemple avec le son du frigidaire qu’on ne remarque que quand il s’arrête. Même si vous ne le réalisez pas, vous vous concentrez uniquement sur quelques sons, choisis dans l’ensemble des sons dans lesquels vous êtes immergé. C’est une capacité du cerveau appelée effet cocktail party, car lors d’une fête, vous êtes capable de vous concentrer sur une conversation spécifique, même s’il s’agit d’un endroit très bruyant. Il est intéressant de noter que les personnes aveugles ont souvent des difficultés pour appliquer ce principe : il y a une corrélation entre la vue (regarder la bouche de quelqu’un qui nous parle) et l’ouïe (concentrer son écoute sur la voix spécifique de la personne qu’on veut écouter). Il est aussi intéressant de noter que cette aptitude est généralement absente chez les personnes qui ont un handicap auditif.

Si vous réalisez parfois des enregistrements sonores, il peut être intéressant ici de penser aux différentes possibilités de partage d’une expérience sonore au travers de vos micros et enregistreur.

  • Est-ce que la sensation d’écoute est la même quand vous écoutez au travers de votre casque, de vos micros et enregistreur ? Placeriez-vous le micro et/ou vous-même plus près /loin de la source sonore ? Pensez à l’importance du choix du placement de vos micros au moment d’enregistrer. 
  • Pensez aux différentes manières possibles de partager cette expérience d’écoute, avec un enregistrement brut ou bien au contraire au travers de plusieurs enregistrements tentant d’isoler les sons pour les monter et les mixer ensemble ensuite, et recréer ainsi votre expérience d’écoute au plus près de votre ressenti.
  • Demandez-vous comment vos autres sens peuvent affecter l’écoute, comme on a pu le voir avec la vue et l’effet cocktail party. Est-ce le cas pour l’odorat, le toucher, la sensation thermique, le vent qui souffle sur votre corps ?
  • Essayez d’écouter avec une seule oreille en couvrant avec votre main l’autre, alternez. Pensez à la stéréo en la comparant à la mono, en évoquant les configurations possibles pour réaliser des enregistrements stéréo, basés sur les différences de temps ou de spectre, en fonction du matériel que vous avez à disposition (sans entrer ici dans les détails techniques).
  • Pensez à la fonction de l’oreille externe et demandez-vous comment un enregistrement binaural pourrait tenter de reproduire cela.
  • En écoutant, prenez conscience des sensations que les sons produisent en vous . Est-ce que le son choisi est agréable ou désagréable ? Comment vous sentez-vous ? Ce son provoque-t-il du stress, de l’apaisement ou un agacement ? Tentez de décrire votre écoute au travers d’autres sensations (chaud/froid, rugueux/doux, sec/humide…)

Bern, Switzerland, 2019 (SonOhr)

Exercice d’écoute nº 5 : Balade en aveugle

Deux par deux, en mouvement, pendant 5 minutes (deux fois)

Pour cet exercice deux personnes sont nécessaires. L’une est la guide, la compositrice, et prend par la main la seconde personne, l’auditrice, qui a les yeux bandés avec un morceau de tissu ou un masque pour les yeux.

Le/la guide prend la main de son/sa compagn-e-on au niveau de la poitrine avec la paume vers le haut. Il indique la direction de la marche vers la gauche ou vers la droite comme si la main était un joystick. Il lèvera ou baissera les doigts pour indiquer s’il faut monter ou descendre les pieds pour surmonter un obstacle (escalier, trottoir, butte…). Le guide ne parle pas et accompagne l’autre personne dans son écoute attentive de l’environnement, avec une marche lente et contemplative. Si vous vous sentez plus performeur que compositeur, vous pouvez bien sûr produire des sons par vous-même, et interagir avec les éléments du lieu où vous vous trouvez.

En tant qu’auditeur-trice, vous essayerez de vous souvenir des exercices précédents et de la manière dont vous percevez les sons.

Après 5 minutes, la personne qui écoute ouvre les yeux et vous intervertissez les rôles. Une fois que les deux personnes ont chacune été guidée, échangez vos impressions : 

  • Comment décrivez-vous votre expérience d’écoute ? Est-il possible de la comparer aux exercices précédents ? Qu’est-ce qui était différent ou semblable ?
  • Y-a-t’il eu une narration ou une évolution de l’écoute au cours de l’exercice ? Cela pourrait être dû aux éléments sonores du lieu, mais aussi à votre sensation générale et à la manière dont vous faites progressivement confiance à la personne qui vous guide. Il n’est pas possible de fermer nos oreilles (à différence de nos yeux) car l’ouïe nous permet de rester attentif à un possible danger. Peut-être que pendant cet exercice vous avez été conscient de cette écoute instinctive, (alerte en cas de  danger  ou de prédateurs).
  • Est-ce que cet exercice a également éveillé les perceptions de vos autres sens, de votre toucher, de votre odorat ou de la sensation thermique du lieu ? Si tel est le cas, est-ce que les autres sens peuvent avoir des effets sur l’écoute ?
    Vous pouvez penser, par exemple, au toucher et comment il est possible de percevoir l’espace à travers les bruits de vos pas, mais aussi par la plante de vos pieds qui donne des informations sur le sol qui se trouve sous vos chaussures. Est-ce que l’écoute passe uniquement par vos oreilles ou est-il possible d’écouter avec la totalité de votre corps ?

À la fin de chaque exercice vous pouvez partager verbalement vos expériences avec le groupe, ou les écrire si vous n’êtes pas accompagné. Vous pouvez bien sûr combiner ou alterner les exercices qui vous paraissent les plus intéressants, selon vos propres intérêts et pratiques.

RÉFÉRENCES

-> LIVRES

Monique Buzzarté and Tom Bickley, eds. Anthology of essays on Deep Listening, Deep Listening Publications, 2012.
Francesco Careri, Walkscapes, GG, 2014. (Spanish)
Denis Muzet, Le son du vivant, L’aube, 2022. (French)
Pauline Oliveros, Deep listening, a composer sound practice, Deep Listening Publications, 2005.
Karen O’ Rourke, ed. Walking and mapping. Artists as cartographers, MIT Press, Cambridge, 2016.
Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, Rivache, 2000. (French)
Murray Schafer, A Sound Education – 100 Exercises in Listening and Soundmaking, Arcana Editions, 1992.
Murray Schafer, The soundscape. Our sonic environment and the tuning of the world, Destiny Books, 1994.
Peter Szendy, Listen. A history of our ears, Fordham University Press, 2008.
David Toop, Ocean of Sound: Aether talk, Ambient Sound and Imaginary worlds, 5-star, 2001.
David Toop, Sinister Resonance. The Mediumship of the Listener, Continuum, 2010.
Salomé Voegelin, Listening to Noise and Silence. Towards a Philosophy of Sound Art, Bloomsbury, 2010.
Salomé Voegelin, Sonic Possible Worlds, Bloomsbury, 2014.
Juliette Volcler, L’orchestration du quotidien – Design sonore et écoute au 21e siècle, 2022

-> ARTICLES

Juan-Gil López, Soundwalking, del paseo sonoro in-situ a la escucha aumentada (Spanish)
Ximena González-Grandón, La música vibrante, una propuesta al imperativo auditivo. (Spanish)
Hildegard Westerkamp, Soundwalking
Audiospaces, Dylan AS, Listening’s pleasure

-> PRATIQUES

Radio Aporee. Maps :: sounds of the world 
Janet Cardiff & George Bures Miller, audiowalks 
Fonoteca Nacional Mexico, Soundwalk monthly program
Flood, SoundWalk
Belén Gache, Derivas en Second Life 
Jacek Smolicki, Candace Campo, “Soundscapes as archives. Traces and absences of the aural past in Vancouver”, Seismograaf, 6 April 2021  
Walk listen create, Walking Pieces. A comprehensive catalogue of walking pieces.

Cette compilation a été réalisée par Félix Blume et Ana Medina pour le RAPP Vienna 2022. Elle est destinée à être modifiée et adaptée. N’hésitez pas à prendre contact pour partager vos expériences et vos idées, faire des commentaires ou des remarques.
Merci à Marie-Christine Cabanas pour sa relecture et ses corrections.

Félix Blume
felixblume.com/contact  felixblume.contact@gmail.com

Ana Medina
Tw, Ig: @aninamedina  cecilia.ann4@gmail.com