Phaune box, un étrange objet sonore pour auditeurs curieux

Article publié dans Télérama par  Irène Verlaque le 08/12/2016

« Fuga » donne à entendre, pêle-mêle, des bruits de pas saccadés, des aboiements, des cliquetis métalliques, le crissement des roues sur les rails.

 “Qu’est-ce qui vous fait fuir ?” La webradio Phaune a posé la question à sept artistes et compilé leurs réponses dans sa Phaune Box, un drôle d’objet sonore.

Les familiers de Phaune Radio le savent bien. Lorsque la webradio annonce une « expérience d’écoute inédite, sauvage, et sans bord », elle tient ses promesses. Cette fois-ci, le cabinet de curiosités sonores dédié à la création radiophonique a concocté pour ses auditeurs une Phaune Box, un album numérique réunissant sept artistes autour d’une même question : « Qu’est-ce qui vous fait fuir ? »

Félix Blume, jeune ingénieur du son installé au Mexique, s’est rendu à Lecheria, un quartier populaire au nord de Mexico. Carrefour des trains de marchandises qui desservent l’Amérique centrale et ses alentours, ce lieu est donc un « passage obligé » pour les migrants qui cherchent à rejoindre les Etats-Unis en se cachant dans ces trains. « Fuga » donne à entendre, pêle-mêle, des bruits de pas saccadés, des aboiements, des cliquetis métalliques, le crissement des roues sur les rails. Et laisse sourdre des voix qui répètent, comme une incantation, « tierra blanca, tierra negra, tierra blanca… ».

Une collection sonore pour auditeurs curieux

Il n’est pas le seul à avoir pris le large. Christophe Rault (co-fondateur d’Arte Radio au côté de Silvain Gire) nous entraine au Japon, dans la province du Kyushu, pour assister à une cérémonie ancienne, près du volcan Tsukahara, qui « se déroule sans prévenir dans la tête de toute personne lorsqu’elle laisse déborder son imagination et ses envies ». Une fois encore, des bruits de pas, des voix, des percussions, le son d’une flûte. Des indices, mais pas d’explication. « Et le chemin devient plat », comme les cinq autres enregistrements que recèle la Phaune Box, demande un auditeur un tantinet aguerri, et/ou très curieux.

Produite grâce au Prix Découvertes SCAM attribué à Phaune Radio en 2015, cette collection sonore s’écoute en ligne, et peut également être téléchargée (à prix libre) afin de soutenir les artistes et leurs projets. Tous s’inscrivent dans une démarche hybride, tantôt expérimentale, tantôt documentaire, et proposent une création d’environ sept minutes. Issus d’une formation d’ingénieur du son pour la plupart, ils mélangent habilement field recording, voix et électroacoustique, pour un résultat poétique et inattendu. Comme lorsque l’on distingue des extraits de morceaux de rap américain et français plus ou moins populaires au beau milieu de la composition de Nicolas Perret et Silvia Ploner . « I got my horse right outside »  illustre la fuite de façon saisissante, grâce à la juxtaposition de « samples de paysages sonores » dénichés dans des morceaux d’EminemPublic EnemyShabazz Palaces et bien d’autres.

Du travail d’orfèvre

Pour Sophie Berger« fuite » rime avec « départ ». Elle s’aventure on ne sait où, le micro en bandoulière, et recueille la manifestation sonore de ce mouvement vers l’ailleurs (« La route chante quand je m’en vais, disait Lhasa »). Rien à voir pourtant avec « Slippery Seas » de Valérie Vivancos (œuvrant aussi sous le pseudo Ocean Viva Silver) qui a promené ses enregistreurs à travers Sète, « un port de la Méditerranée tourné vers le sud et ses chimères migratoires ». Les cris des mouettes, le grincements des pontons et la rumeur de la ville se perdent dans une multitude de bruits indistincts, un « tourbillon électrobruitiste ».

Sarah Boothroyd, artiste canadienne dont le travail est présenté dans des festivals et galeries dans plus de vingt-cinq pays, apporte quant à elle une réponse à la fois surprenante et évidente, compte tenu du thème imposé. Explorant le domaine amoureux, et plus particulièrement l’acte de « donner à quelqu’un le pouvoir de vous détruire mais lui faire confiance pour ne pas le faire » (vaste programme), « What a lovely way to burn » complète élégamment l’éclectique Phaune Box.

On ne saurait trop recommander d’ouvrir bien grand ses écoutilles (et son esprit) pour profiter au mieux de cet original travail d’orfèvre.

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