Face à la mer
Proposition pour l’Appel à Projet COAL 2022 “Océans”
Face à la mer est un projet de partage de plusieurs moments d’écoute face à l’océan Atlantique, depuis les côtes des quatre continents qui le bordent. Équipée d’un casque audio, une personne est à l’écoute de l’immensité qui lui fait face. Elle entend les vagues et le murmure de la mer, amplifiés par les micros (qui sont hors-champ). La caméra fait le portrait de cet(te) écoutant(e) tout en captant les réactions de son visage. La divergence entre le point de vue et le point d’écoute nous invite à une expérience sensible de la singularité de chacun(e), face à nous, face à la mer. Le projet se propose d’engager le spectateur dans une écoute active, en symbiose avec les eaux : pouvons-nous tenter de mieux les comprendre en les écoutant ?
Dans l’espace d’exposition, ce sont des dizaines d’écrans vidéo qui invitent à leur tour à l’écoute, suggérant l’océan que l’on ne perçoit qu’à travers les visages de ceux et celles qui sont face à la mer.
L’océan a un caractère universel et évocateur pour la plupart d’entre nous. Face à son immensité, nous savons que même en regardant à perte de vue, l’essentiel de ce qui le constitue est invisible pour les yeux.
Face à la mer questionne notre relation à l’océan et les multiples manières de le percevoir. C’est une invitation à une écoute qui dépasse le sonore, pour tenter de comprendre ses problématiques, ses enjeux et les dangers qui menacent la biodiversité qu’il abrite.
Dans mon projet Les rumeurs de la mer réalisé pour la biennale de Thaïlande, je proposais d’écouter les sons produits par les vagues, interprètes d’un orchestre de flûtes en bambou : une voix, un chant ou un cri d’alarme face à la montée des eaux. Dans ce nouveau projet je propose de l’écouter au travers des humains qui le scrutent, face à la mer.

Dimension artistique et mise en perspective avec la thématique
Face à la Mer (titre provisoire)cherche à questionner notre relation à l’océan d’une manière très simple, en nous proposant de l’écouter. Au-delà du sonore, c’est une invitation à la réflexion sur sa place dans le monde et les enjeux contemporains auxquels il fait face. Si l’océan est universel, la manière sensible de le percevoir est singulière, et dépend de chaque territoire et de chaque individu.
Le temps de l’écoute est un moment privilégié, en suspension, face au monde visuel qui nous entoure et son rythme généralement accéléré. C’est un moment de relation intime avec les vagues qui viennent déferler au plus proche de nos oreilles ; une invitation à l’imaginaire qui accompagne les mondes sous-marins ou celui des autres rives de cette même eau, à l’autre bout du monde ; une réflexion sur ceux et celles qui tentent de le traverser pour rejoindre des mondes meilleurs, au prix parfois de leur vie ; un moment de partage avec tous les autres écoutant(e)s potentiels, participant au projet ou pas, qui scrutent l’horizon au même moment, créant une communauté éphémère d’écoutant(e)s. L’océan peut alors relier ces humains de divers endroits du monde, qui sont face à lui, à son écoute.
Si le projet ne donne jamais à voir l’océan, il le donne à entendre et renverse la vision que l’on peut en avoir. Lors de la restitution du projet dans l’espace d’exposition, les visiteurs vont entendre ce qu’ils/elles ne voient pas (l’océan) et voir ceux qui restent silencieux pour mieux écouter. La caméra et le microphone sont dos à dos, dirigés dans des sens opposés. Le visiteur se retrouve à la place de l’océan, et l’espace d’exposition devient celui des vagues, du monde sous-marin ou de la haute mer, selon l’imaginaire de chacun(e).
Genèse du projet
Si mon travail n’est pas toujours centré sur l’océan et ses multiples facettes, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de travailler avec celui-ci. J’ai cité plus haut mon projet pour la biennale de Thaïlande, Rumeurs de la mer, qui prenait comme point de départ la montée des eaux. Je suis actuellement en résidence à la Casa Wabi sur la côte pacifique du Mexique, pour un projet en collaboration avec la communauté locale qui sera réalisé dans l’océan. En décembre 2021, j’ai pu effectuer une résidence au Atlantic Center for the Arts en Floride, qui m’a permis de poser les premières bases du projet que je présente ici.
Rumeurs de la mer, Thaïlande (2018)
Pendant cinq semaines, logé au Canaveral National Seashore, j’ai proposé aux visiteurs, travailleurs et voisins, de partager avec moi un moment d’écoute dans le parc. Avec ses 25 kilomètres de côte, nous avons pu l’arpenter pour écouter l’océan à différents endroits et à différents moments. Après chaque écoute, les participant(e)s au projet me parlaient, en quelques mots, de leur relation à l’océan et de la sensation que le son produisait en eux. Quelques-unes de ces 37 écoutes face à la mer sont développées ci-dessous à titre d’exemple, et les vidéos sont toutes accessibles en ligne sur la page du projet felixblume.com/acasoundscape.
Pour ma part, j’ai appris à écouter quotidiennement ces eaux, seul ou accompagné, et à discerner les différences entre chacune des vagues, selon la force et la direction du vent, la marée, la lune ou le moment de la journée. Ma relation à l’océan a changé également, et il est devenu un être multiple, en constant changement, dont l’humeur et la voix sont sans cesse différentes.
Les portraits à l’écoute sont un élément récurrent de mon travail visuel et sonore. J’ai ainsi réalisé le film Curupira, bête des bois qui fait le portrait d’habitants de la forêt amazonienne, racontant la présence d’une créature de la forêt.
Curupira, bête des bois, Brésil (2017)
Dans la vidéo À l’écoute de presque rien je propose l’écoute d’enregistrements sonores de Luc Ferrari, que chacun(e) des auditeurs va tenter de décrire, encore une fois au travers de portraits à l’écoute. Le projet que je propose ici est une suite logique de ma trajectoire d’artiste visuel et sonore, qui s’inscrit dans ma recherche personnelle.
À l’écoute de Presque Rien (2019)
Note technique
J’imagine reproduire le dispositif évoqué plus haut en Floride (et déjà réalisé) dans trois autres lieux du monde, autour de l’océan Atlantique. Je pense notamment à la Bretagne, en collaboration avec l’association École de l’Exploration (Saint-Malo) pour la mise en place des rencontres et écoutes avec les participant(e)s, et le Festival Longueur d’Ondes (Brest) pour la restitution/exposition du projet (sous une forme qui reste encore à définir). Au Sénégal, je suis en contact avec l’association Hahatay qui travaille à Gandiol. Au Brésil, j’ai établi un contact avec Chão SLZ dans la ville de São Luís do Maranhão.
Après un appel à participant(e)s qui prendra probablement des formes diverses selon les lieux, je rencontrerai les écoutant(e)s à l’endroit et au moment de leur choix. Si le moment d’écoute peut ne durer qu’une dizaine de minutes, il est important de prendre le temps de la rencontre.
Durant l’écoute, les participant(e)s n’ont pas d’indications précises : ils/elles sont libres de fermer les yeux pour écouter, de se mettre dans la position qu’ils/elles préfèrent, à l’endroit de leur choix. Chacun des moments est individuel et singulier, face à la mer et face à la caméra.
Je partage sur place ce moment avec eux, hors champ, avec mon casque branché aux micros également. Dans un second temps, la vidéo invite les visiteurs/auditeurs à partager ce moment d’écoute en ligne et dans les espaces d’exposition.
J’imagine environ 40 personnes par lieu, pour arriver à un total de 150 vidéos (pour les quatre lieux). Cela permettra de proposer différentes configurations de présentation du projet, avec un ample choix de vidéos.
Je dispose de mon matériel de prise de son professionnel pour l’enregistrement sonore, avec plusieurs options de micros et couples stéréos qui pourront s’adapter aux différents lieux et conditions. J’ai mon propre matériel de prise de vue également, une caméra Fuji XT2 équipée de plusieurs optiques fixes avec lesquelles je filme habituellement mes projets vidéos et films. Une liste complète de mon matériel est accessible en ligne ici felixblume.com/equipment.

Restitution / Présentation
À la manière de la plupart de mes projets, les formes de présentations sont multiples et peuvent varier d’un endroit à l’autre. J’envisage ainsi que le projet puisse se présenter sous la forme d’une exposition rassemblant les quatre lieux, présentant sur une multitude d’écrans ces visages qui sont à l’écoute (le nombre dépendra du lieu et des possibilités techniques). Chaque vidéo est équipée d’un casque, que le visiteur peut mettre pour écouter à son tour la mer qui fait face à la personne filmée. Une version avec haut-parleur serait aussi envisageable, là encore cela dépend du lieu d’exposition. Les écrans peuvent être parsemés dans l’espace, sur un pied ou un socle, ou au contraire tout autour, accrochés aux murs, symbolisant les pourtours de l’océan Atlantique. Si certains lieux semblent déjà propices à montrer l’exposition, la recherche d’espaces d’exposition se fera de manière plus active dans une seconde phase, une fois les premières étapes du projet confirmées.
Sur une base similaire à celle de la première partie réalisée en Floride, le projet sera consultable en ligne, et invitera également à l’écoute ceux/celles qui sont loin des lieux d’exposition. On pourra ainsi suivre l’avancée du projet et les vidéos qui s’ajouteront peu à peu sur une carte en ligne.
Les vidéos peuvent être accompagnées d’une légende très succincte, indiquant le nom de la personne, la date, l’heure, le lieu, les coordonnées GPS, les conditions climatiques (marée, vent, force, direction, température) et une phrase, synthétisant le ressenti de la personne qui est Face à la mer.